Pierre Huyghe au Centre Georges Pompidou

Pierre Huygue au Centre Pompidou

(Emma Lavigne, commissaire d’exposition – du 25 septembre au 6 janvier 2014)

 

Pierre Huyghe, Untilled (Liegender Frauenakt), 2012, sculpture en béton, ruche, cire, abeilles, 145 x 45 x 75 cm,

Pierre Huyghe, Untilled (Liegender Frauenakt), 2012, sculpture en béton, ruche, cire, abeilles, 145 x 45 x 75 cm

Né à Paris en 1962, lors de l’émergence du mouvement Pop Art et quelques mois après que Christo eut élevé un mur de 240 barils dans la rue de Visconti en réponse au mur de Berlin, Pierre Huygue décida lui aussi d’associer son nom à celui de l’art contemporain… A la sortie de ses études à l’Ecole Nationales Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, il intègre sous le pseudonyme Pirokao le collectif des Frères Ripoulins – qui était alors un groupe d’artistes associé au mouvement du Figuratif Libre et du graffiti.

Après avoir représenté la France à la Biennale de Venise en 2001 où il obtint le prix spécial du jury, après avoir été lauréat du Prix Hugo Boss en 2002 délivré par le Metropolitan Museum of Art de New York, après avoir remporté en 2005 le prix du meilleur artiste français par Beaux Arts magazine, Pierre Huygue investit à juste titre la galerie sud du Musée Nationale d’Art Moderne.

Loquace, le médiateur culturel qui nous accompagne se garde pourtant d’empiéter sur l’environnement sibyllin ménagé par l’artiste. Au vu de l’absence volontaire de cartels, ses explications s’avèrent véritablement appréciables.

Dès notre arrivée, une espèce de sculpture brut et exceptionnellement massive trône, semblable à des vestiges croisant architecture et nature. C’est une œuvre de la sculptrice Parvine Curie dans le cadre du 1% artistique, qui motiva l’inclination de Pierre Huygue dans ce domaine.

Nous sommes par la suite invités à sortir, car l’extérieur est investi – pour la première fois – et notamment par des phénomènes naturels artificiellement générés : la pluie, la brume et la neige. Au fond se trouve allongée, une statue antique sur la tête de laquelle l’on peut distinguer une ruche couverte d’abeille vivantes qui ne manquent pas de nous faire tressaillir, même si la sculpture elle, demeure impassible.

De retour à l’intérieur, le médiateur nous interroge sur une curieuse œuvre au mur. A priori faite de points de peinture formant un petit rond point fleuri, il s’agit en fait d’un travail minutieux de ponçage révélant cercle par cercle la couleur des murs relatifs aux expositions précédentes.

A côté se trouve une oeuvre qui pourrait littéralement illustrer cette citation de Ralph Waldo Emerson « N’allez pas là où le chemin peut mener, allez là où il n’y a pas de chemin et laissez une trace. » La photo en question est celle d’un paysage collinéen traversé par deux chemins. L’un, tel une piste de randonnée est tracé par l’homme dans le but d’arriver à un endroit donné, l’autre est un chemin frayé par l’artiste dans le but de n’arriver nulle part.

Ce paysage naturel est suivit d’une œuvre tout aussi naturelle puisque c’est un trou dans le mur duquel s’échappent quelques fourmis et araignées, à la merci des visiteurs.

La plus grande salle est plafonnée d’un singulier dispositif d’éclairage en damier, à l’aide de deux manette, chacun peut s’affronter, il s’agit apparemment de tracer un chemin lumineux sans croiser celui de son adversaire. Derrière se trouve une patinoire sur laquelle tourbillonne une patineuse agile. Quelqu’un d’ailleurs, l’observe ; c’est un homme masqué d’une imposante tête de perroquet. Il déambule le long de l’exposition en ne prêtant attention qu’aux œuvres qui l’intriguent, manifestement. Ce personnage – ainsi qu’un autre dont le visage est caché par une sorte de livre couvert d’ampoules allumées – sort d’une vidéo de l’artiste, projetée un peu plus loin et faisant appel à la fiction artistique et la mise en abyme.

Soudain retentissent des vrombissement, extrêmement forts et difficilement identifiables. Menés par notre ouïe nous arrivons dans une pièce où est projeté un film capable de raviver toute entomophobie ; c’est le parcours nocturne d’un chien dans un dépôt-casse, lieu naturellement infesté d’insectes dont le bruit est artificiellement multiplié pour atteindre l’amplitude sonore d’un cri humain. Le chien dont il est question, investit justement les lieux durant l’exposition, avec sa patte peinte en rose.

Un peu plus loin, sans grande prétention, quelques feuilles occupent le mur. C’est un contrat véritable dans lequel est stipulé que Pierre Huygue et Philippe Parreno achètent les droits d’un personnage féminin de manga, Ann Lee, auquel ils restituent sa liberté, rendant illégale toute utilisation postérieure de son image par un tiers.

D’autre œuvres attirent mon attention, tel est le cas d’un grand aquarium surplombé par une dalle lumineuse, et dans lequel flotte un gros morceau de roche qui semble léviter tant il paraît lourd. Dans le gravier se baladent quelques limules dont l’espèce remonte à plus de 350 millions d’années ce qui en fait un des être les plus fossiles – en rapport avec la pierre volcanique.

Une autre projection présente un bambi troublé, arpentant un hameau en construction qui faisait autrefois partie de son habitat naturel. Parallèlement, l’artiste capture les dernier instants émouvants des enfants qui quittent les maison dans lesquelles ils ont grandit, avant de venir s’installer dans un nouvel espace de vie…

Pierre Huygue, au travers de ses œuvres, se caractérise comme un grand agitateur. Chambouler le rituel de l’exposition, donner à voir des choses hors contexte, confondre nature et artifice, rapprocher moderne et ancien, animé et inanimé… telles sont les ambitions spirituelles et esthétique de cet artiste fascinant.

par May David

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